Christine Demias
Février 2021
De l’art de l’existence.
La première fois que j’ai rencontré le travail de Christine Demias, c’était à l’occasion d’un lancement, une présentation publique d’un projet éditorial qu’elle commençait tout juste, intitulé A4 multiplié par X.
Le titre dudit projet était suffisamment explicite pour en saisir le propos, mais également l’envie, à peine cachée, de proposer un projet ouvert, non seulement aux autres - à ses pair·e·s - puisqu’il s’agissait d’une édition collective regroupant les propositions d’artistes qu’elle invitait (et invite toujours) à contribuer, mais surtout, ouvert aux publics qui sont aussi multiples qu’il y a de contributions.
Le projet, gratuit, s’adresse donc à toutes et tous, dans une forme humble, des formats A4 photocopiés regroupés dans une boîte en carton. À ce moment-là, j’ai compris que l’artiste et éditrice qu’elle est se posait la question, non seulement de la réception du travail artistique, mais aussi de la façon dont celui-ci est diffusé.
Sans prétention, et avec une touche d’humour propre à certain·e·s conceptuel·le·s, les projets que mène l’artiste travaillent au corps les sujets de société les plus actuels qui la touche, non seulement en tant qu’artiste, mais aussi en tant que femme.
Prenons par exemple un projet comme Hold Up, ici l’artiste réalise un tract vert (couleur du billet de cent euros), sur lequel est inscrit au recto «Êtes-vous pour ou contre l’autre métier de l’artiste ?» et au verso la même phrase, en anglais. Cette sentence, qui pourrait sembler anodine, ne la reste pas dès lorsqu’on la replace dans son contexte de monstration : celui de la FIAC 2015, lors de laquelle l’artiste est intervenue en distribuant aux passant·e·s ses tracts à la sortie de la foire.
Distribuer un tract, c’est également lancer le débat, engager une conversation, et à ce moment-là, alors que nombre d’artistes ne vivent de leur art, c’est également sensibiliser les publics à cette problématique qui leur est peu connue : la précarisation des artistes qui sont souvent obligé·e·s de cumuler les fonctions pour espérer vivre décemment.
Lancer le débat, c’est peut-être justement là que se joue le travail de l’artiste.
Multipliant les formes et les supports, passant de l’imprimé à la peinture, de la photographie au dessin, du texte à l’image, ou encore de la performance à l’installation, l’artiste interroge, non sans humour donc, les fonctionnalités de l’art si fonctionnalités il devait avoir.
Il y a peu de temps, je rencontrai personnellement Christine Demias, et, au fil de la discussion, elle m’expliqua qu’elle menait actuellement des recherches sur l’otium, ou, plus communément, l’art d’échapper à l’utilitaire - un temps libre, débarrassé de toutes contraintes marchandes.
Si cette vision pourrait en faire sourire plus d’un·e, il n’empêche qu’il se joue quelque chose de cet ordre-là dans le travail de l’artiste ; et c’est à sa façon, non sans une pointe d’ironie, voire de dérision, qu’elle parvient à nous faire prendre conscience qu’après-tout, la question de l’art est également la question de l’adresse.
Alex Chevalier, De l’art de l’existence, février 2021

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